Complémentaires santé obligatoires : à quoi joue Marisol Touraine ?

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Tout employeur est tenu de contracter une complémentaire santé obligatoire d’entreprise pour ses salariés depuis le 1er janvier 2016. Les salariés sont eux-mêmes tenus de souscrire à cette complémentaire.Pour l’année 2016, le marché de l’assurance complémentaire santé obligatoire représente un basculement de 35,5 milliards d’euros de contrats individuels en contrats collectifs. La longue bataille judiciaire entamée par les assureurs pour éviter de perdre les contrats individuels dont ils étaient porteurs au profit d’organismes gérés par les organisations syndicales [suspectées de conflit d’intérêts], semblait avoir connu son épilogue par une décision du Conseil Constitutionnel de juin 2013, qui prônait la concurrence entre tous les acteurs de l’assurance complémentaire santé. C’était sans compter sur l’union sacrée qui fédère les partenaires sociaux lorsqu’il s’agit de la défense de leurs intérêts financiers, avec le soutien, en l’occurrence, de Mme la Ministre des Affaires sociales.

Les complémentaires de branche : une initiative sociale salutaire

Personne ne contestera l’intérêt de disposer d’une complémentaire santé en charge de compléter les remboursements de la Sécu dont les niveaux s’étiolent au fil des ans. La complémentaire santé obligatoire d’entreprise revêt par ailleurs le grand avantage d’exclure toute notion « assurantielle » avec sa kyrielle de petites lignes et d’annexes introuvables avec pour première intention de définir les modalités d’absence de prise en charge. Ainsi, quel que soit l’âge du salarié, son état de santé, ses antécédents médicaux ou les maladies de ses ascendants jusqu’à la troisième génération, la couverture est certaine et le prix fixe.

Les organisations syndicales et patronales représentatives de 224 branches professionnelles avaient ainsi conclu, à la fin 2012, des accords visant à rendre obligatoire la mise en place d’une complémentaire santé dans toutes les entreprises rattachées, quelle que soit leur taille. Cette initiative sociale et salutaire n’aurait sans doute jamais soulevé de difficultés si les modalités et conditions de mise en place s’étaient avérées transparentes et exemptes de toute suspicion de conflit d’intérêts.

Les partenaires sociaux suspectés de conflit d’intérêts

Dans le cadre des négociations menées au niveau de la branche, les partenaires fixent les conditions minimum de la couverture santé ainsi que la clé de répartition du coût de l’adhésion entre employeurs et salariés.

Les partenaires sociaux étaient aussi en capacité de fixer deux clauses essentielles :

  • Une clause de désignation : elle oblige à une adhésion exclusivement auprès de l’organisme désigné par les partenaires sociaux ;
  • Une clause de migration : elle oblige les employeurs ayant déjà éventuellement mis en place un système de complémentaire santé à « migrer » vers un organisme désigné par la branche, quand bien même la couverture serait moindre.

Sur le principe, l’organisme désigné par les partenaires sociaux est choisi sur appel d’offre, lequel s’adresse en conséquence aux 495 organismes en France (360 mutuelles, 106 compagnies d’assurance et 29 Instituts de prévoyance) autorisés à proposer des contrats support d’assurance complémentaire maladie.

Il s’est toutefois avéré, dans 90% des cas (337 désignations sur les 377 recensées à fin 2012), que l’organisme ainsi désigné était l’un des 29 Instituts de Prévoyance… lesquels sont pilotés par les partenaires sociaux. Cette qualité de juges dans l’attribution des marchés et de parties dans leur négociation a fini par alerter les autres organismes d’assurance. Ces derniers ce sont mobilisés à l’énoncé par le gouvernement de son intention de généraliser le principe de la complémentaire santé obligatoire de branche à échéance de 2016 : entre la perte des contrats individuels et l’impossibilité d’accès dans les faits aux contrats de branches, les mutuelles et assurance pouvaient perdre 35,5 milliards d’euros par an.

La bataille courageuse des boulangers

La mobilisation contre le principe de la complémentaire de branche à un organisme d’assurance unique (en l’occurrence AG2R), imposée d’en haut, est issue du courageux combat mené par des centaines de professionnels de la boulangerie, certains adhérents du Syndicat des Indépendants (SDI), mais tous soutenus par cette organisation patronale interprofessionnelle indépendante, suite à la mise en place d’un tel accord dans leur branche en 2008.

Le constat effectué était le suivant : les boulangers ont été placés devant le fait accompli et ont dû assumer seuls les refus opposés par leurs salariés qui subissaient une baisse de rémunération (montant de la prime d’assurance) sans comprendre pourquoi leur était imposé un contrat plus onéreux et moins efficace que ceux dont ils disposaient déjà à titre personnel.

Les motifs d’insatisfaction étaient multiples :

  • Rapport prix/prestations médiocre ;
  • Obligation d’affiliation de tous les salariés, quel que soit leur âge ou leur statut (apprentis, temps partiels, ayant-droits,…) ;

Ce combat entre une poignée de petits boulangers face au Goliath que représente AG2R, est encore en cours pour un certain nombre d’entre eux, 9 ans après. Beaucoup ont abandonnés, faute de disposer des moyens financiers leur permettant d e suivre la multitude de procédures engagées à leur encontre. Mais ces boulangers ont tracé une voie nouvelle auprès des juridictions nationales, européennes et de l’Autorité de la concurrence. Le principe de la liberté de choix de la mutuelle sur la base d’un socle minimum de garanties pour un prix fixé à l’avance dans le cadre des négociations collectives a été consacré en juin 2013 par le Conseil Constitutionnel.

Du moins le croyait-on…

Les partenaires sociaux de la boulangerie toujours dans les tranchées

Pour autant, les organisations syndicales de la boulangerie ne désarment pas. Passant outre la loi, le Conseil d’Etat, le Conseil Constitutionnel et la Cour de Justice des Communautés Européennes, elles ont renouvelé en juin 2016, pour une nouvelle période de 5 ans, l’accord qui lie encore les boulangers à AG2R jusqu’au 1er janvier 2017. Les courriers types adressés aux boulangers qui souhaiteraient quitter AG2R à compter de l’année prochaine pour un autre organisme, sont parfaitement formatés. Le message est simple : c’est impossible. Sans nuance, sans hypothèse, sans référence à une quelconque loi ou décision judiciaire, AG2R renvoie les boulangers au motif de leur colère initiale : votre branche a décidé pour vous et vous n’avez pas le choix. Est-ce vrai ? A ce jour, l’arrêté ministériel qui donnerait effectivement force obligatoire à l’ensemble de la boulangerie à l’accord de juin 2016 pour une nouvelle période 2017-2022 est à la signature sur le bureau de Mme la Ministre Marisol Touraine.

Le signera-t-elle ? Les boulangers devront-ils une nouvelle fois s’engager dans de longues batailles judiciaires pour faire valoir un droit désormais intégré et reconnu pour l’ensemble de leurs collègues des autres branches ?

Le seul indice à disposition à ce jour est le fait que la ministre des affaires sociales a soutenu un amendement à la loi sur le financement de la sécurité sociale, définitivement votée le 5 décembre dernier, lequel autorise  de nouveau les partenaires sociaux à imposer une assurance plutôt qu’une autre, dans le domaine connexe de la prévoyance. Le Conseil constitutionnel a (de nouveau !) été saisi de cette question… En cas de revirement du Conseil, il est certain que ce premier coin enfoncé conduira à une prochaine extension dans le domaine des complémentaires santé.

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