Simplification du bulletin de paie : des conclusions contestables sans valeur ajoutée pour les TPE

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Jean-Christophe Sciberras a remis au Premier Ministre, Lundi 27 juillet 2015, son rapport intitulé « Pour une clarification du bulletin de paie ». Ce rapport, dont la presse s’est largement fait l’écho sous l’angle de la « simplification », mérite d’être traité du point de vue des TPE et de leurs attentes en matière d’économies et d’allègements de charges administratives.

Fiche de paie : 40 lignes en France contre 15 en Espagne

Alors qu’un bulletin de salaire espagnol ou allemand ne comporte que 15 lignes, le chef d’entreprise français doit lister 40 items, sans compter certains secteurs et leurs spécificités (cotisations obligatoires de prévoyance pour les ouvriers et caisse de congés payés-intempéries dans le bâtiment par exemple). Ce fait est évidemment lié à un nombre de prélèvements différent, mais aussi à un souci d’information complète du salarié. Les mentions du bulletin de paie servent par ailleurs de justificatifs en cas de contrôle URSSAF et de conflit prud’homal.

La simplification comme cache-misère

Un simple regroupement de lignes

La mission Sciberras propose d’alléger les bulletins de salaire en regroupant un certain nombre de lignes et soumet deux versions possibles de simplification, l’une dite « version courte » et l’autre « version longue », ces deux versions étant elle-même démultipliées en fonction du statut (non-cadre ou cadre) et du versement ou non d’une participation/intéressement. A ce stade, on peut déjà constater qu’il est complexe de simplifier.

Aucune avancée sur la complexité de l’élaboration de la paie

Quelle que soit la version, cette mission ne s’attaque pas au problème de fond des entreprises que constituent tant la complexité des règles applicables que leur volume. En effet, regroupées ou non, synthétisées ou pas, l’ensemble des charges applicables sur les salaires, aussi bien du point de vue patronal que salarial, ne seront en rien modifiées. Les employeurs devront toujours jongler entre le plafonné et le déplafonné, respecter scrupuleusement les incessants changements de taux (10 changements en 10 ans pour les allègements sur bas salaires) et naturellement intégrer les nouvelles contributions (contribution obligatoire aux organisations patronales, complémentaire santé obligatoire, cotisations pénibilité pour ne citer que les plus récentes).

En conséquence de quoi l’allègement du nombre de lignes sur le bulletin de paie ne constitue qu’un cache-misère sans effet concret sur la complexité de l’élaboration de la paie et donc sans effet sur le bénéfice attendu par les TPE en terme d’allègement des charges administratives.

Une simplification coûteuse pour les TPE

Si l’on ne peut reprocher à la mission Sciberras d’avoir abordé la complexité de l’élaboration de la paie, thème qui n’était pas dans son champ d’investigation, il peut en revanche lui être reproché d’avoir débordé dudit champ en liant la mise en place de bulletins de paie simplifiés à leur dématérialisation.

Un coût lié à l’évolution des logiciels de paie

Consciente que l’évolution des logiciels de paie nécessitée par une nouvelle réforme de leur présentation serait facturée au prix fort par les éditeurs concernés (l’exemple actuel de la DSN nous en fournit un exemple édifiant), la mission estime pouvoir compenser ce surcoût par l’obligation de dématérialiser les bulletins. Le schéma est simple : les bulletins de paie seraient stockés dans des coffres forts numériques, ce qui économiserait le papier, l’édition, l’enveloppe et le coût d’affranchissement.

Un coût lié à la dématérialisation

Malheureusement, tous comptes faits, la mission reconnaît elle-même au travers de projections de coûts au demeurant contestables que le bulletin de paie dématérialisé reviendrait a minima aussi cher que sa version papier. Ajoutons que les plateformes numériques existantes ne sont pas prêtes à fournir ce service, faute de répondre à des normes minimum de sécurité et de confidentialité. Il reste par ailleurs à solutionner la problématique de la disparition de l’employeur (liquidation judiciaire) et du changement d’entreprise du salarié.

Une dématérialisation déjà en chantier avec la DSN

La mission omet enfin d’intégrer totalement la question de la DSN (Déclaration Sociale Nominative), à effet au 1er janvier 2016, dont l’objet est déjà d’aboutir à l’échange de données informatisées, et donc dématérialisées, sur la base de la fiche de paie, avec l’ensemble des organismes sociaux.

Il serait sans doute plus simple et moins coûteux d’envisager un accès sécurisé aux données pour les salariés, au lieu de la mise en place d’un second système, une nouvelle fois à la charge des entreprises, pour les seuls besoins de la visualisation d’une fiche de paye simplifiée.

 

Les bénéfices financiers attendus de la dématérialisation du bulletin de paie seront entièrement compensés, voire inférieurs aux coûts de l’évolution des logiciels de paie et la mise en place de processus numériques sécurisés.

 

Une simplification source de conflit avec les salariés

Du point de vue du salarié

Par le regroupement de lignes du bulletin de paie sous format de thèmes généraux, le document gagne certes en lisibilité, mais pas en compréhension. Ainsi, toute taxe supplémentaire, ou augmentation de taxe existante venant à grever le net à payer du salarié devrait faire l’objet d’une explication précise du chef d’entreprise, sans justification visuelle par une base et un pourcentage au travers du bulletin de paye.

Du point de vue de l’employeur

La mission propose par ailleurs de faire figurer sur le bulletin de paye « le total des allègements financés par l’Etat », donnant ainsi à ce document une valeur de promotion des politiques publiques de l’emploi sans lien avec l’information due par l’employeur au salarié.

 

Le bulletin de paie doit conserver un caractère d’information clair sur le niveau et l’objet des charges salariales et patronales.

 

Une simplification plébiscitée… par ses promoteurs

Un sondage sur un « échantillon représentatif » de 15 personnes

Afin de valider ses travaux, la mission a pris l’heureuse initiative de solliciter l’avis des chefs d’entreprise et des salariés au travers d’un sondage réalisé par l’institut BVA. L’échantillon « représentatif » était en tout et pour tout composé de 15 personnes dont des DRH et gestionnaires de paie.

Une mise en situation menée en interne

Par ailleurs, la mission a aussi sollicité une expérimentation de ses conclusions et a donc recueilli l’avis des gens du terrain. Cette expérience a réuni 5 salariés (4 managers et 1 assistante RH) et 4 top managers responsables de paie sur la région Paris Ile de France, tous employés par le Groupe Solvay (26.000 salariés dans 52 pays) dont le DRH se trouve être aussi l’auteur du rapport sur la clarification du bulletin de paie.

 

Propositions du SDI

 

  1. Le principe même de la simplification du bulletin de paie doit rester du ressort du chef d’entreprise

 

  1. La dématérialisation du bulletin de paie doit rester facultative et de la seule initiative de l’entreprise

 

  1. La dématérialisation du bulletin de paie doit être réalisée a minima à coût constant sur la base des informations de la DSN

 

  1. Les charges patronales doivent continuer à figurer en clair sur le bulletin de paye pour une meilleure prise en compte par les salariés des contraintes qui pèsent sur l’entreprise

 

  1. Porter les efforts sur une réduction de la complexité des règles présidant à l’élaboration du bulletin de paie

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